EXPLORATIONS SCIENTIFIQUES

EXPLORATIONS SCIENTIFIQUES
EXPLORATIONS SCIENTIFIQUES

Les explorations scientifiques européennes ne commencent vraiment que vers la fin du XVIIe siècle, par quelques missions individuelles et bientôt collectives, terrestres ou maritimes.

Un facteur décisif est constitué par l’intervention du pouvoir politique et l’appui des grandes institutions scientifiques nationales, des académies en particulier, apparues au XVIIe siècle.

Le programme scientifique des voyages et la formation préalable des voyageurs se perfectionnent et se précisent progressivement. Les travaux menés profitent surtout à la géographie, aux sciences naturelles dans toute leur étendue, enfin aux sciences de l’homme à partir du début du XIXe siècle. L’action des voyageurs s’étend peu à peu à toutes les parties de la planète, y compris au monde marin.

Confrontés à des difficultés de tous ordres, dont le manque chronique de moyens financiers n’est que l’une parmi beaucoup d’autres, les voyageurs scientifiques ont payé un lourd tribut au progrès de la connaissance: presque tous lui ont fait le sacrifice de leur santé, quelques-uns celui de leur vie.

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les conditions et l’esprit de l’exploration sont profondément renouvelés par le progrès scientifique et technique et par l’évolution des événements politiques. C’est pourquoi nous n’y ferons pas allusion dans le présent article, renvoyant le lecteur aux articles ANTARCTIQUE, physiopathologie de la COSMONAUTIQUE, plongée SOUS-MARINE, SPÉLÉOLOGIE, VOLCANISME ET VOLCANOLOGIE.

Le désir de la gloire

Si le diplomate et naturaliste Pierre Belon, duquel les Observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays estranges sont publiées à Paris en 1553, peut être considéré comme un des initiateurs du voyage scientifique, c’est seulement vers la fin du XVIIe siècle qu’apparaissent véritablement des explorations où le progrès de la science tient une place principale.

De multiples facteurs ont joué pour susciter ces entreprises de style nouveau. Certains sont déjà anciens: l’ouverture, depuis la fin du Moyen Âge, de nouvelles routes maritimes, l’esprit de curiosité développé par la Renaissance et favorisé par l’imprimerie; d’autres sont plus récents, par exemple le progrès des instruments scientifiques (graphomètre, microscope), ou l’introduction des considérations et des procédés mathématiques dans la construction des navires; enfin, plus immédiatement, il y a l’intervention du pouvoir politique, prolongée par celle des institutions de la science.

Sous l’Ancien Régime, c’est du souverain – au moins théoriquement – que toute grâce procède, c’est vers lui que convergent toutes les ambitions: Louis XIV reçoit Tournefort avant et après le voyage de celui-ci au Levant (1700-1702); c’est lui qui envoie le père Charles Plumier aux Antilles (1689-1690, 1693, 1696-1697), le père Louis Feuillée aux Antilles (1703-1706) et au Chili (1707-1711). Le titre de «botaniste du roi» ou de «mathématicien du roi» est caractéristique de cette situation. Louis XVI s’intéresse personnellement à la préparation du voyage de La Pérouse (1785-1788). Plus tard encore le gouvernement de Louis-Philippe patronne l’expédition de Morée (1829-1831) et Napoléon III décide l’organisation de la Commission scientifique du Mexique (1865-1867).

Mais l’action du souverain ou de son gouvernement se prolonge par celle des académies et des grands établissements scientifiques officiels qui structurent la science occidentale depuis le XVIIe siècle: Jardin royal des plantes de Paris (1635), Royal Society of London (1660), Académie royale des sciences (1666), Observatoire de Paris (1667), etc. De part et d’autre de la Manche, en particulier, les grandes explorations scientifiques en reçoivent aux XVIIIe et XIXe siècles des instructions de plus en plus détaillées quant aux zones géographiques à visiter et aux résultats à obtenir: c’est le cas des trois voyages de James Cook dans le Pacifique (1768-1770, 1772-1774, 1776-1778) organisés par la Royal Society. Britanniques ou françaises, les grandes institutions scientifiques portent aussi un vif intérêt aux progrès, spectaculaires au XVIIIe siècle, des instruments d’observation et de mesure dont se servent voyageurs et navigateurs: lunette, sextant, cercle à réflexion de Borda, chronomètre de marine, cercle répétiteur de Lenoir, etc. Parfois, l’académie envoie sous des cieux lointains quelques-uns de ses membres: la mission des «académiciens du Pérou» (1735-1743), chargés, pour trancher la controverse sur la forme de la terre, d’aller mesurer une portion de méridien au voisinage de l’équateur, en est un bon exemple. À partir du XIXe siècle, certaines sociétés scientifiques, en France la Société de géographie entre autres, prennent au moins en partie le relais des académies et institutions officielles. Le cas d’Alexander von Humboldt, capable d’être lui-même à la fois l’initiateur, le patron scientifique et le commanditaire de son grand périple en Amérique du Sud (1799-1804), accompli avec le botaniste Bonpland, apparaît, à cet égard, exceptionnel.

Les instructions données sont d’abord très générales parce que les besoins sont immenses, les pays à parcourir à peu près inconnus, les voyageurs capables d’embrasser sinon toutes les sciences, au moins une grande partie d’entre elles. En 1716, Antoine de Jussieu reçoit du régent l’ordre d’aller «rechercher des plantes rares et utiles dans les Alpes, les Pyrénées, l’Espagne et le Portugal, durant un voyage de cinq à six mois»; à son retour, après une absence de onze mois (1716-1717), Jussieu adresse au duc d’Orléans un rapport de mission divisé de façon significative: il y aborde la botanique, «principal motif» du voyage, mais aussi la médecine, l’«histoire naturelle» (notamment les mines et minéraux), les «arts» (entendez les industries et métiers artisanaux), la géographie. Et son journal révèle des curiosités vraiment universelles.

Le besoin d’un inventaire

Par la suite, ces instructions sont de plus en plus précises, notamment dans le cas d’une exploration décidée et patronnée par un gouvernement. Elles restent très étendues même si l’exploration en question a un but principal, géographique par exemple, nettement marqué: significatif à cet égard est le dossier remis au commandant Baudin à son départ en 1800 pour les terres australes. Chargé de découvrir la côte sud du continent australien, il reçoit de l’Académie des sciences, et d’autres instances, des informations, des demandes, des recommandations de toutes sortes sur toutes sortes de sujets. En 1824, le Muséum d’histoire naturelle publie la 1re édition (il y en aura cinq dans le cours du XIXe siècle) de son Instruction pour les voyageurs et pour les employés dans les colonies, sur la manière de recueillir, de conserver et d’envoyer les objets d’histoire naturelle.

Parallèlement, et surtout après 1815, est entrepris un sérieux effort de formation des voyageurs par la mise en place d’un enseignement à eux spécialement destiné: au Muséum de Paris, cet enseignement est fondé en 1818; après un temps de mise en sommeil, au milieu du siècle, il connaît un vif regain de succès à partir de 1893, au moment des luttes coloniales.

Même si leur évolution va dans le sens d’une spécialisation, les explorations scientifiques, collectives et même individuelles, profitent à un large éventail de disciplines: à la géographie, bien évidemment, qui permet l’établissement de cartes de plus en plus précises; à la géodésie, surtout au XVIIIe siècle, au temps de la querelle sur la «figure de la terre», accessoirement à l’astronomie; en tous temps et en tous lieux aux sciences naturelles dans toutes leurs parties. L’anthropologie et l’ethnologie, qui n’entrent qu’en 1860 dans l’Instruction diffusée par le Muséum de Paris, sont cependant présentes dès le début du siècle dans les préoccupations des voyageurs: c’est en 1800, peu avant le départ de Baudin, que Joseph-Marie de Gérando publie ses désormais fameuses Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages .

Jusque fort avant dans le XIXe siècle, un même homme peut s’intéresser tour à tour à ces divers domaines: le chanoine Alexandre Pingré, parti en 1761 à l’île Rodrigue pour y observer le passage de Vénus entre le Soleil et la Terre, ne se contente pas d’observations astronomiques mais recueille des données sur la géographie et sur la météorologie de l’île et rassemble des spécimens de sa faune et de sa flore. Cent ans plus tard, le père Armand David, missionnaire lazariste de Pékin, accumule au cours de ses trois grands voyages dans l’immense empire chinois (Mongolie, 1866; Tibet oriental, 1868-1869; Kiang-si, 1872-1874) une foule de notations de toutes sortes. Cependant, la majeure partie de celles-ci est consacrée à la zoologie, preuve que David, s’il est polyvalent, garde une spécialité; et c’est bien aussi avec une certaine arrière-pensée que Darwin, embarqué trente ans plus tôt sur le Beagle (1831-1836), a recueilli des matériaux très variés pour l’élaboration de son œuvre à venir. D’ailleurs, dès le début du XIXe siècle, on voit paraître dans les expéditions collectives une division plus nette du travail scientifique et un recours plus fréquent aux spécialistes, en même temps qu’un souci accentué d’ordre et de méthode; le romantisme de la découverte fait place peu à peu à l’organisation: lasse d’embarquer des civils indisciplinés, la marine nationale française confie désormais à ses officiers de pont les observations physiques, à ses médecins et chirurgiens celles ressortissant aux sciences de la nature et de l’homme; lors de l’expédition de Morée (1829-1831) comme pendant l’exploration scientifique de l’Algérie (1839-1842), les travaux topographiques sont confiés aux ingénieurs militaires des Ponts et Chaussées.

Tout au long de cet effort de découverte persiste, notamment chez les naturalistes, un grand sens du concret et un désir permanent d’être utile: à cet état d’esprit, l’Occident doit de profiter aujourd’hui d’une multitude d’espèces végétales ou animales, introduites et acclimatées pour notre nourriture, notre santé, notre vêtement, notre agrément.

L’attrait de l’inconnu

Parce que les moyens matériels (de transport, notamment) n’ont évolué que lentement, d’immenses régions (Sibérie, Chine occidentale, Australie, Afrique) demeurent presque inconnues au milieu du XIXe siècle. Commencée, en effet, par le bassin Méditerranéen et le Proche-Orient qui suffirent longtemps aux naturalistes pour de riches moissons, l’exploration de la Terre par les Européens s’est étendue, le long d’itinéraires imposés par la géographie (vents, courants marins, rades abritées, aiguades, climats, tracé des cours d’eau, cols et vallées), à toutes les parties du monde: aux deux Amériques; aux «Indes orientales», patrie des épices, auxquelles on accède par l’océan Indien et d’où l’on peut aller jusqu’en Chine; à l’Australie et aux archipels du Pacifique; à l’Afrique, dernier pénétré des grands continents; aux zones polaires, enfin. Jusqu’à une date récente, l’exploration scientifique des terres émergées est jalonnée d’exploits de première grandeur: l’énigme des sources du Nil, posée depuis l’Antiquité, est résolue après 1863, au prix d’un long travail de reconnaissance, de cartographie et d’hydrologie. L’okapi, mammifère giraffidé de belle taille, est découvert au Congo en 1901, et c’est seulement en 1911 que, pour la première fois, le pôle Sud est atteint par le Norvégien Amundsen. Reste le monde marin, dont l’étude biologique s’ouvre en 1861 par la publication d’Alphonse Mile-Edwards, Observations sur l’existence de divers mollusques et zoophytes à de grandes profondeurs dans la Méditerranée . Quinze ans plus tard, la campagne du navire britannique Challenger (1873-1876) dans l’Atlantique et le Pacifique procure une immense documentation sur les faunes abyssales, base d’une nouvelle discipline, l’océanographie, baptisée en 1912.

Dans le choix des zones explorées, la science n’est pas seule en cause: ce n’est pas sans raisons politiques que la France, après le traité de Paris (1763), ayant perdu le Canada, intensifie sa présence aux Antilles et en Amérique du Sud; et on comprend aisément l’intérêt des navigateurs russes Krusenstern (1803-1806), Kotzebue (1815-1818) ou Lutke (1826-1829) pour les parages du Kamchatka et pour le Pacifique nord.

Parfois, les exigences de la politique ont pu favoriser les voyages scientifiques: n’est-ce pas d’abord par la remise des Malouines aux Espagnols que Bougainville commence son périple autour du monde (1766-1769)? Mais plus souvent les voyageurs ont à s’en plaindre: le médecin botaniste Joseph Dombey doit sacrifier une grande partie des collections recueillies par lui en Amérique espagnole (1778-1784) aux nécessités de la politique de conciliation menée par la France à l’égard des Bourbons de Madrid; la proclamation de la Ire République fait avorter l’expédition d’Entrecasteaux (1791-1793) parti, sous le règne de Louis XVI, à la recherche de La Pérouse; l’Anglais Matthew Flinders paie d’une longue captivité (1803-1810) à l’île de France (île Maurice) le tort d’avoir précédé Nicolas Baudin sur la côte sud de l’Australie; on pourrait multiplier les exemples...

Au reste, voyageurs et explorateurs scientifiques ont à surmonter beaucoup d’autres difficultés venant du manque de moyens financiers, à peu près chronique, et de conditions d’existence toujours très dures: l’isolement en pays étranger ou la promiscuité à bord des vaisseaux, l’absence de nouvelles de la mère patrie, la perte de manuscrits et de collections, les fièvres, la souffrance physique et morale et, pour quelques-uns, la mort en terre lointaine. Il n’est pas étonnant que la plupart aient montré une forte personnalité.

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les progrès rapides des moyens de transport ont singulièrement rétréci les distances; les succès de la science et des techniques occidentales, l’apogée puis la ruine des empires coloniaux, les deux guerres mondiales ont aussi contribué à renouveler presque entièrement les conditions et l’esprit des explorations scientifiques. Aux exploits individuels ou individualistes de jadis a succédé l’action méthodique de spécialistes réunis en équipes pluridisciplinaires et disposant de moyens techniques de plus en plus élaborés.

Cependant, comme aux siècles passés, l’exploration scientifique demeure inséparable des publications savantes, souvent très importantes, qui la prolongent, la justifient et en perpétuent le souvenir.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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